Vous vous rappelez des ambitions folles de l'Union européenne de déployer une méga-industrie des batteries, sans en maitriser le moins du monde les tenants comme les aboutissants ? L'Eclaireur vous en parlait là. Pour les énergies marines renouvelables (EMR), éolien en tête, le nouveau dada de la Commission européenne et d'Emmanuel Macron derrière, c'est peu ou prou la même chose.
A coups de milliards (17 milliards ont été injectés ces quinze dernières années), l'UE part en croisade, le nez au vent. La cour des comptes de l'UE, qui a passé au crible la politique en matière d'EMR dans un rapport récent, parle poliment de "résultats ambivalents" fait de grandes ambitions qui paraissent bien inatteignables sauf à accélérer nettement le rythme de déploiement. Et en croisant les doigts pour que l'inflation, ni aucun autre paramètre extérieur, ne vienne s'en mêler.
En attendant, comme pour les batteries, on voit que l'on focalise sur le dernier barreau de l’échelle sans comprendre qu’il est inutile si les autres sont manquants. Rappelons que les matières premières et notamment les terres rares qui entrent dans la fabrication de ces EMR, devenues hautement géopolitico-stratégiques, sont presque entièrement fournies par la Chine. Question souveraineté industrielle, on a vu mieux.
A lire le rapport, les objectifs de croissance, 61 GW de capacité installée à l’horizon 2030 et 340 GW à l’horizon 2050, paraissent un peu vains. A cette échéance tout du moins. Derrière l'Allemagne et les Pays-Bas qui caracolent en tête, la France va son train, elle qui détient le record des délais d'approbation en Europe : compter jusqu'à 11 ans pour qu'un projet soit approuvé.
" La France a défini sa stratégie pour les énergies en mer en 2009. Pourtant, le premier parc éolien commercial (à Saint-Nazaire) n’est pleinement opérationnel que depuis novembre 2022", souligne la cour. La capacité cumulée totale d’EMR s’élève actuellement dans l'Hexagone à 482 MW. La France, qui entend bien raccourcir les délais d'instruction des dossiers, s'est engagée à produire 40 GW d'éolien en mer en 2050 ...
Bref, des ambitions à la réalité, il y a encoore un pas. D'autant que les technologies ne sont pas toujours matures et encore moins commercialisées. Qu'elles doivent faire face à une pénurie de personnels qualifiés. Que l'on ne voit pas très bien comment les conflits d'usage, que la directive PEM (planification de l'espace maritime) n'a pour l'instant pas permis de résoudre, pourraient être réglés avec le déploiement d'encore plus d'éoliennes.
"L’accès aux zones de pêche pourrait donc progressivement se réduire, ce qui ferait probablement baisser les revenus de la pêche et exacerberait la concurrence entre les pêcheurs", note la cour qui souligne que dans les quatre pays qu'elle a audité (Allemagne, France, Espagne et Pays-Bas), le conflit avec les pêcheurs restait sans issue. A moins qu'on les reconvertisse et les forme dans les EMR vu qu'il y a pénurie ?
C'est peu dire que l'engagement et déploiement des EMR assortis de telles échéances se fait un peu au doigt mouillé. Sans vraiment tenir compte de l'environnement, au sens large. Les études sur les implications socio-économiques du développement des EMR sont mineures. Le sujet est pourtant capital, notamment au regard du calendrier. "Pour les six premiers projets d’EMR approuvés, les tribunaux français ont traité 50 affaires de contentieux", relève la cour.
Quant à l'environnement au sens strict, la biodiversité, elle passe manifestement au second rang, voire au troisième. Après les pêcheurs. "L'empreinte environnementale sur la vie marine pourrait être considérable et n’a pas été suffisamment prise en compte par la Commission et les États membres".
La tableau n'est pas très reluisant. Mais il est aussi incomplet. La cour des comptes de l'UE n'a pas abordé la question, essentielle pourtant, de l'efficience des EMR. Car cette énergie produite en mer, il faut et il va falloir la transporter, parfois sur de grandes distances (avec des déperditions d'énergie à la clé soit dit en passant). Il faut et il va falloir la stocker aussi. Intermittente, variant au gré des vents, de la houle, des marées ou des courants, elle n'est pas programmable ni pilotable.
Or en matière de stockage, et malgré les progrès, la solution des batteries (on en revient à ce que l'on disait au début de notre article) est encore notoirement insuffisante. Quant à l'autre solution, les stations de transfert d'énergie par pompage (Step), qui permettent de stocker l'électricité via l'eau des barrages hydroélectriques, elle est en France toujours au point mort.