Qui pour prendre le transport par câble aux portes de Grenoble ? C'est la grande, et pas des moindres, question à la base du projet de téléphérique prévu aux abords de la capitale du Dauphiné. Et c'est toujours le grand mystère. Sur quelle fréquentation un minimum solide est assise le câble ? En fait, on n'en sait trop rien.
L'Eclaireur s'en étonnait déjà en mai 2022, voir l'article ici. On reprend ce que l'on avait alors écrit :
"La potentielle fréquentation (4 à 5 000 déplacements par jour) n’a pas fait l’objet d’une étude à part entière. Le chiffre est en fait tiré d’une enquête mobilité réalisée en 2019-2020. D’où il ressort que, sur le secteur, entre Vercors et l’agglomération grenobloise, on pouvait tabler entre 9 000 et 10 000 déplacements/jour ?".
Ce à quoi Sylvain Laval, le président du syndicat des mobilités et maire de Saint-Martin-le-Vinoux, nous avait répondu :
« L’estimation a été faite sur un secteur en pleine mutation. Depuis, il y a une vraie dynamique économique. Tout cela n’a pas été suffisamment estimé. On est en période post-Covid où on réorganise ses déplacements. J’ai tendance à penser qu’avec le temps, les choses monteront en puissance. Quand on parle de transports publics structurants, ce sont des visions de long terme ».
Ainsi donc, le câble à Grenoble a-t-il été réfléchi queue par dessus tête : non pour répondre à des besoins (qui pour l'heure n'existent pas) mais pour les anticiper, mieux même : les construire de toutes pièces ? Quand bien même ces chiffres viseraient juste, ce n'est pas bien gras. L'objectif est-il de lever les bouchons (désormais quasi-inexistants depuis que l'A 480 a été élargie) ? Il suffit de rapporter les 5 000 potentiels voyageurs susceptibles d'être transportés chaque jour au nombre de véhicules qui se pressent aux portes de l’agglomération : 120 000 en provenance de Lyon, 96 000 du Grésivaudan et 64 000 du Sud Isère...
Si l'objectif est de mieux desservir le quartier de la Presqu'Île scientifique, c'est tout aussi mal engagé. Car les besoins n'existent pas plus. C'est une enquête commandée en 2022 par le plan de déplacements inter-entreprises (PDIE) à M'Pro qui le dit. Et dont quelques résultats ont filtré dans Le Dauphiné Libéré. Où on apprend que "2 % des répondants déclarent qu’ils prendraient le métrocâble".
Un salarié d'une entreprise de la Presqu'Île a fait le calcul. Sachant que la Presqu'Île compte entre 10 000 et 15 000 emplois. Que la majorité des ces emplois sont tenus par des ingénieurs, chercheurs et des cadres qui recourent au télétravail en moyenne deux jours par semaine, cela fait environ 500 trajets quotidiens. Pas bien gras donc.
Même ordre de grandeur fait remarquer Damien Pitiot sur le registre des contributions de l'enquête publique en cours, concernant la contribution du métrocâble à la baisse du nombre d'auto-solistes : l'ambition est d'aider à ce que ce pourcentage passe de 25 à 20 %... "On est donc sur le même ordre de grandeur, seuls quelques pourcents des travailleurs de la presqu’île utiliseraient le câble", constate le contributeur.
Ce qui est aussi intéressant et même éclairant, c'est de voir l'usage qui a été fait de cette étude. Car "ses résultats n’ont jamais été communiqués, ni publiquement, ni par les entreprises à leurs salariés". Seuls quelques bribes donc ont été gentiment donnés au DL. Quant à l'étude en elle-même, elle reste manifestement bien cachée. Contactés, les services du PDIE nous ont d'abord fait savoir qu'après validation avec le président de l'association, Bruno Renard, les résultats allaient nous être communiqués.
Et puis rien. Depuis c'est même silence radio. Syndicat des mobilités comme PDIE sont aux abonnés absents.
A moins que le projet de transport par câble ne soit qu'une assez lointaine réponse aux besoins de déplacements sur la métropole grenobloise. Mais davantage une vitrine pour l'agglomération. Ou un démonstrateur pour son constructeur, Poma, qui n'en finit pas de voir ses gros projets tomber dans le nord des Alpes – abandon du Funiflaine en Savoie, tensions autour du 3S aux Deux-Alpes. A moins de voir le câble comme une aimable contribution au processus de gentrification en cours, déjà bien amorcé avec la prolongation du tram, au nord de Grenoble...