Ni le département de l'Isère ni la Région Auvergne Rhône-Alpes n'ont exprimé de soutien et de financement au projet de transport par câble aux portes de Grenoble alors même que les deux collectivités sont impliquées au titre de leurs compétences. Quant à l'Etat, il s'est montré particulièrement discret, se contentant d'un simple avis sur le dossier de définition de sécurité et sur les prescriptions archéologiques préventives (sic).
Ajoutons à cela que la Ville de Grenoble, au départ moteur, a finalement rétropédalé. Parmi les autres communes directement concernées, Sassenage est farouchement contre, Saint-Egrève n'est pas pour. Bref, ne restent pour porter vigoureusement le câble : le syndicat des mobilités, la Métropole de Grenoble et les deux communes de Fontaine et Saint-Martin-le-Vinoux – dont le maire est le président du syndicat des mobilités – qui se trouvent aux deux bouts de la ligne.
Bref, il n'y a bien que Le Dauphiné libéré – dont la Une toute emballée le 5 janvier dernier ne faisait pas grand cas des procédures réglementaires - on vous en parlait là – pour voir dans l'avis défavorable de la commission d'enquête au transport par câble rendu ce 26 mars un "coup de tonnerre". Car pas grand-chose ne tenait la route dans ce dossier, L'Eclaireur l'a à maintes reprises expliqué, on vous remet la liste des articles écrits à ce sujet là.
"Comment un projet si peu consensuel, présenté comme structurant pour les transports en commun du secteur nord-ouest de l’agglomération, a-t-il pu arriver en l’état jusqu'au stade de l’enquête publique ?", écrivent les commissaires enquêteurs dans les conclusions de leur rapport.
C’est la question que nous posions le 5 janvier dernier. "Comment un tel projet à 100 millions d’euros tracé entre Fontaine et Saint-Martin-le-Vinoux a-t-il pu arriver jusqu’à cette étape de la procédure ? Comment un projet recalé par les commissaires enquêteurs du plan de déplacements urbains (PDU) en 2019, qui préconisaient de le réanalyser “en termes de montant d’investissements, de nombre d’usagers transportés, et de priorité dans le temps”, a-t-il cheminé jusqu’à l’enquête publique ?"
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La liste des manquements donne le tournis. Absence de réelle concertation comme de débat politique, étude prospective au doigt mouillée, impacts sur l'environnement biaisés, intérêt public du projet particulièrement douteux, assise financière brinquebalante... Rappelons que le projet est aujourd'hui estimé à 110 millions d'euros, hors coûts de fonctionnement qui risquent fort, comme on va le voir plus loin, de faire grimper la facture. Que seule une subvention de l'Etat (de 5,11 millions d'euros) est prévue sur 17,5 millions d'euros d'aides attendus – hors subvention de la Métropole de Grenoble dont la mise à contribution risque fort de plomber des finances déjà mal en point comme nous l'écrivions là.
Bref, le transport par câble, moyen de transport vertueux, parfaite vitrine aussi "écolo" que technologique, a à Grenoble de sérieux ratés. Rappelons qu'il y a des précédents : le projet de câble reliant la cuvette au plateau du Vercors avait échoué il y a quelques années. Bref, si l'idée d'un transport par câble est bonne en soi, sa transposition concrète est passablement foireuse.
Raboté (amputé du potentiel qu'aurait apportée la zone commerciale Portes du Vercors dont l'abandon était parfaitement prévisible), le câble grenoblois a dû faire de notables contorsions. C'est ainsi que pour éviter le survol du réacteur nucléaire scientifique, qui a valu au projet un avis très réservé de l'autorité de sûreté nucléaire (ASN) , le câble emprunte un tracé aussi complexe que coûteux : compter quatre changements de direction pour six stations.
Son empreinte écologique est toute aussi discutable. La technologie prévue, le monocâble, génère d'autant plus de frottements que le tracé est sinueux. On admirera au passage l'évaluation pifométrique de la consommation énergétique électrique du projet, laquelle écorne sérieusement son bilan carbone : 8GWh par an à lire le dossier, 4,8GWh selon le maitre d’ouvrage dans son mémoire en réponse au procès-verbal de synthèse.
"En première année de fonctionnement, sur la dernière hypothèse de consommation énergétique transmise par le maitre d’ouvrage, on produira 225 TeqCO2 et sur l’hypothèse de consommation énergétique du dossier, on en produira 320 TeqCO2. Ce qui dans tous les cas hypothèquera en partie le gain en CO2 annoncé du projet, uniquement apporté par “la suppression des 7 bus” que permet la réalisation de la liaison câble, estimé à 364 TeqCO2 la première année du projet", note la commission d'enquête dans ses conclusions.
On vous fera grâce du fait qu'aucun bilan complet des émissions de gaz à effet de serre intégrant, outre les émissions évitées, celles produites tout au long du cycle de vie des ouvrages du projet, n'a été porté à connaissance. "Le projet envisagé ne peut être ainsi être qualifié de décarboné", appuie la commission d'enquête.
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Reste une question, majeure : quel est l'intérêt public d'un tel projet ? Le report modal et notamment des automobilistes vers le câble histoire de désengorger le trafic, améliorer la qualité de l'air et baisser les émissions de gaz à effet de serre ? Même pas. La très grande majorité des utilisateurs du câble proviendrait des transports en commun (93% des usagers à la mise en service et 87% en 2035 dixit le dossier). Pire, pour de nombreux usagers et notamment sur le secteur de la Presqu'Île où se concentrent les emplois, la mise en route du câble pourrait les pousser à délaisser les transports en commun (qu'ils empruntaient) pour reprendre le volant du fait des ruptures de charge – passages du bus ou tram vers le câble et vice-versa rendus compliqués.
"Les ruptures de charge concernant les 93 % des usagers du câble reportés depuis les transports en commun, cet inconvénient qui aurait été mineur avec un fort report modal se révèle majeur", notent les commissaires enquêteurs.
A tel point qu'on peut se demander qui, au final, empruntera le câble... Le projet table sur un potentiel 4 600 voyages par jour à sa mise en service, 7 700 en 2035, ce qui est somme toute très modeste. Et vraisemblablement un tantinet optimiste à lire les résultats de l'enquête, laissée pour le moins confidentielle, du plan de déplacement inter-entreprises de la Presqu'Île en 2022 et dont L'Eclaireur s'était fait l'écho, à lire là. Où il s'avère que seuls 2% des salariés ayant répondu à l’enquête pensent utiliser le transport par câble, soit 400 personnes. Bref, la "restructuration des transports en commun (n'est pas) pas toujours à l’avantage des usagers", pointe la commission d’enquête.
Où on atteint des sommets, c'est sur le bilan socio-économique du projet, en gros l'analyse des coûts-avantages. Positif pour ses promoteurs – traduit en valeur monétaire, on est à + 2,4 millions d'euros, ce qui reste là encore très modeste au regard du coût global – il est très négatif pour la commission d'enquête.
"Ce résultat ne fait que traduire, sous une forme monétarisée, que le projet présente plus d’inconvénients que d’avantages. Il nécessite un investissement élevé en regard d’un gain de temps de transport très hypothétique ne bénéficiant qu’à un nombre trop faible d’usagers."
Ce qui ressemble fort à un arrêt de mort en bonne et due forme. Mais ne présage en rien de l’abandon du projet. La commission d'enquête a émis deux avis défavorables : un sur la déclaration d'utilité publique, l'autre sur l'autorisation environnementale. Mais sans assortir ses conclusions de recommandations ou de réserves – lesquelles réserves doivent être levées pour qu’un projet puisse voir le jour. Rappelons aussi que la décision finale, le feu vert au projet, appartient en dernier ressort au préfet. Qui peut passer outre l'avis défavorable de la commission d'enquête. Sans se justifier.
Ce câble n’aurait-il somme toute été que le détournement du principe selon lequel on construit des habitations en fonction des déplacements, bref un simple prétexte pour bétonner ?