Jusque-là, la France ne disposait pas de baromètre industriel. A y regarder de plus près, il ne nous manquait pas. Via un communiqué du ministère de l’économie, on apprend que cela faisait un an que l'Etat et ses services travaillaient à la création de cet outil statistique, a priori pertinent pour qui voudrait y voir clair dans l'évolution industrielle du pays - si on parle bien de réindustrialisation et dans quel ordre de grandeur.
L'intention semblait plutôt louable... jusqu'à ce que l'on en constate le résultat. Difficile d’imputer cela sur le compte de premiers pas.
Cet indicateur, réactualisé tous les semestres, est passablement limité. Il se borne en effet à indiquer le "nombre net de nouveaux sites industriels et d'extensions significatives de sites industriels". Ainsi, le gouvernement peut-il se glorifier, après avoir mis en place un indicateur que tout le monde attendait, de compter 201 ouvertures nettes d’usines en 2023 contre 176 en 2022. Soit une hausse de 14 %.
Plus précisément, l'année 2023 a comptabilisé 354 ouvertures ou extensions de sites industriels contre 153 fermetures ou réductions. Si on exclut les extensions et réductions, c'est à dire que si on se concentre sur les seules ouvertures et fermetures d’usines, le chiffre tombe à 57. Contre 49 en 2022.
C'est certes mieux. Mais l'indicateur ne dit rien du nombre d'emplois créés ou supprimés, rien sur le solde. Il précise par contre que ce sont les secteurs de l'agro-alimentaire, des industries vertes et de l'économie circulaire qui en sortent gagnants quand des filières stratégiques comme les industries extractives ou la plasturgie ne décollent pas.
Pas sûr que la poussée des uns compense la perte des autres en termes d'emplois, du nombre d'emplois comme de la qualité des emplois. On se réjouira toutefois (un peu) en constatant que les transports et la santé ont ouvert respectivement 22 et 20 établissements. Que pour la santé ce soit au détriment du secteur public est un détail...
L'indicateur n'en dit pas plus quant à l'origine des investissements industriels, quant à une souveraineté industrielle retrouvée qu'il faut parfois aller chercher hors des frontières de l'Hexagone. Voir à ce titre les projets de "gigafactory" de batteries dans le Nord de la France, de semi-conducteurs (STMicroelectronics avec l'américain GlobalFoundries que l'on attend toujours quoiqu'en dise Roland Lescure) ou de relocalisation. En Isère, Seqens entend relancer la production de paracétamol en France, nonobstant le fait que l'entreprise est passée sous pavillon américain.
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L’Eclaireur n'a rien contre les intérêts et investissements étrangers. Il s’agit juste de garder en tête que ces emplois peuvent être un tantinet plus fragiles et surtout à la merci d'un contexte géopolitique aussi tendu que pas très bien appréhendé. On ne reviendra pas sur l'approvisionnement délicat en métaux et terres rares qui fragilise l'industrie, de l’ automobile aux énergies renouvelables, sans parler qu'elle rend caduque toute référence à une quelconque souveraineté.
On remarquera aussi que la tendance profite aux mêmes. Comme en 2022, les régions Auvergne Rhône-Alpes et Nouvelle Aquitaine concentrent à elles seules la moitié des ouvertures d'usines. Finalement, avec tous ces chiffres qui ne décrivent que partiellement la réalité, vanter une réindustrialisation de la France ressemble davantage à une mauvaise opération de communication.
S'il y a bien eu à partir de 2021 une amélioration du paysage industriel français, en déconfiture depuis 2009, cette remontée à grands coups de perfusion d'argent public risque d'être passagère. C'est en tout cas ce qu'observe et analyse le fondateur de Trendeo, cabinet qui a mis en place un observatoire de l'emploi et de l'investissement.
"C'est reparti très fort en 2021 après la crise du Covid avec des taux d'intérêt qui étaient bas, avec des subventions France Relance, France 2030 et donc un solde positif de 120 usines qui pouvaient laisser à penser qu’en cinq ans, on allait regagner toutes les usines qu'on avait perdues depuis 2009", expliquait David Cousquer sur BFMTV le 19 février.
De fait, pour Trendeo, la nouvelle dégringolade est peut-être bien déjà bien amorcée. D’après le cabinet d'études, la France est passée de 120 créations d'usines nettes en 2021 à 23 en 2023 – deux fois moins que les chiffres gouvernementaux, un détail.
"Ça baisse et si la tendance continue, on passera en négatif en 2024. Et ça baisse des deux côtés : il y a un petit peu plus de fermetures d'usines et, ce qui se voit moins, moins d'ouvertures d'usines. Ça c'est silencieux. On baisse en pression mais c'est tout aussi douloureux que les fermetures d'usines qui augmentent".
Pas de quoi doucher l'enthousiasme du ministre de l'industrie. « Ces résultats (ceux de l'indicateur industriel du gouvernement, ndlr) confirment que la dynamique de la réindustrialisation de la France est bien en marche et refroidissent au passage l’esprit défaitiste de certains », souligne Roland Lescure dans Le Monde.
L'inflation, le ralentissement de la croissance, les prix de l'énergie toujours trop élevés pour être compétitif, la politique gouvernementale de réduction des déficits publics et surtout l'absence de stratégie industrielle dont la politique énergétique est un symbole, ont bien évidemment de quoi rassurer et emballer les investisseurs...